Le festival Clin d'œil, qui s’est tenu à Reims du 4 au 8 juillet dernier, a fermé ses portes après quatre journées pleines de spectacles, stands, deaf parties, conférences, projections cinématographiques et rencontres. Quel bilan de cette édition? On fait le point avec quelques chiffres clé, des images, le retour sur la cérémonie des prix du cinéma qui a récompensé de nombreux Français, et un entretien avec son directeur, David de Keyzer. Pour cette 11ᵉ édition, plus de 7800 personnes ont foulé le site du Festival Clin d'œil, public, artistes, intervenants, exposants et bénévoles. En moyenne, le festival a enregistré 5000 entrées par jour, pour un total d’environ 20 000 entrées.
vidéo : images du festival
Pour information, Médiapi, en collaboration avec cinq autres médias, a produit quatre reportages en signes internationaux dans le cadre du projet « Deaf Journalism in Europe ». Ces reportages, également disponibles en LSF sur le site de Médiapi, couvrent les thèmes suivants : les bénévoles au cœur du festival, l’économie sourde, les espaces de sécurité (safe spaces) et le monde de l’art sourd.
Maintenant place à la cérémonie des prix qui récompensait les artistes du cinéma, découvrez les lauréats !
Interview Victor Abbou, prix du Meilleur acteur :
J'ai déjà reçu un prix du meilleur comédien il y a cinq ans, c'est la deuxième fois ! L'équipe a fait un travail formidable, ça a été compliqué, ce fut un vrai travail d'architecte, avec précision pour chaque détail, carré, technique, avec un timing précis de jeu, j'avais le souffle coupé. S'il y avait 2 secondes de trop, il fallait refaire ! Je respirais un bon coup pour reprendre ... c'était harassant !
Mais le résultat est propre, clair, le montage s'enchaîne parfaitement...
Interview Julien Bourges, prix du Meilleur court-métrage :
Je suis surpris, bien sûr, je pensais qu'un autre film, anglais, allait gagner. Et non, c'est moi qui ait remporté le prix, une vraie surprise ! Mais en même temps, je suis fier, car c'est le résultat de cinq jours de dur travail, ce prix est une récompense pour mon investissement, c'est une grande joie !
Interview Émilie Rigaud, prix de la Meilleure actrice :
Avant le festival, lorsque le réalisateur Enzo Serripierri m'a appris que j'étais nommée, c'était déjà une grosse surprise, je ne m'y attendais pas ! Puis ici sur place, je pensais que mes trois concurrentes étaient d'un niveau bien au-dessus de moi. Recevoir le prix c'est une deuxième surprise, je suis submergée de l'intérieur, je ne réalise pas !
Interview Hrysto, prix du Meilleur film :
Je suis heureux de recevoir, du festival Clin d'œil, enfin un prix du meilleur film, ce prix est une récompense pour toute l'équipe, les bénévoles, ainsi que les partenaires.
Cette édition s'est déroulée dans un contexte très tendu, tant au niveau national (avec les élections législatives anticipées) qu'international (le conflit israélo-palestinien). Nous avons demandé à David de Keyzer, directeur du festival, si ces événements avaient eu un impact sur la tenue du festival.
Interview David de Keyzer :
Pas seulement le conflit israélo-palestinien, les Jeux olympiques, aussi. Les préfectures ont demandé à tous les organisateurs de festival de s'engager à prendre des mesures de sécurité supplémentaires et à augmenter le nombre de bénévoles, parce que 80% des forces de police françaises ont mobilisées pour les JO à Paris, et ce depuis mi-juin, pour les formations, les repérages, s'organiser par secteur...
Avant le festival, des messages sur les réseaux sociaux ont montré de l'hostilité envers les Juifs sourds en lien avec le conflit israélo-palestinien, notamment un post exposant des photos de personnalités juives présentes au Clin d'œil. Une personne, qui préfère rester anonyme, a exprimé sa crainte pendant l'événement et a été conseillée de ne pas être seule à tout moment. Comment a réagi l’équipe du festival ?
C'est pour cela que nous avons accru la vigilance. Il était prévu que les auteurs de menaces soient systématiquement signalés à la police, qu'une plainte soit déposée, pour que cette personne soit arrêtée. On ne peut pas laisser les personnes dire n'importe quoi, proférer des menaces.
Ce n'est pas ça le festival, c'est un événement pour que les personnes sourdes se rencontrent, fassent des découvertes, il y a des familles, des enfants… Nous avons une responsabilité, pleine et entière, donc si nous sentons que quelque chose ne va pas, nous devons intervenir, sur ce sujet des menaces comme sur d'autres, tels que la drogue mise dans un verre, le harcèlement visant les femmes, les hommes... tout !
David de Keyzer nous répond également sur l’organisation et l’équipe qui gère ce plus grand événement « pi sourd » de France.
Dans l'équipe de CinéSourds, il y a cinq salariés, trois à temps plein, deux à mi-temps. Bien sûr, nous avons quelques prestataires extérieurs qui nous accompagnent, pour la communication, l'infographie, la remise des prix, la cérémonie d'ouverture, les interprètes...
Mais nous seuls, c'est cinq salariés, c'est tout ! Au niveau de la logistique, il faut savoir que nous devons gérer environ 500 personnes, je crois 516 précisément pour cette année, les 280 bénévoles, 230 artistes, réalisateurs, l'équipe de la sécurité, etc.
516 personnes pour lesquelles il faut gérer la logistique, la nourriture, l'eau, les vêtements, les informations, les équipes... voilà !
Pour un festival comme celui-là, avec une telle programmation, avec tout ce que l'on propose, un pass à 250 euros, ce n'est clairement pas assez. Le prix est faible. Normalement, un tel festival, c'est 400 à 500 euros, là c'est presque la moitié.
Là on se pose la question : est-ce qu'on peut continuer dans de telles conditions ? Je pense que ce sera de plus en plus difficile. Le prix du pass est bas par rapport à l'ensemble de la programmation. il faudrait l'augmenter pour pouvoir payer une sécurité renforcée, augmenter le nombre de bénévoles.
Une dernière question à David de Keyzer, directeur et fondateur du festival : qu’est ce qui l’a marqué pour sa 11ème édition ?
Ce qui m'a marqué et touché, c'est la médaille d'honneur remise à Alfredo Corrado. C'est grâce à lui que la France est devenue un pays riche culturellement. Il a donné à la communauté sourde une vraie place, alors que celle-ci était, dans les années 1970, renfermée et opprimée. C'est surprenant quand on sait qu'Alfredo Corrado est un Américain… Il m'a beaucoup inspiré, quand j'étais petit. Quand je suis arrivé à l'IVT, la première fois, j'ai découvert le théâtre en langue des signes, visuel… C'est ce qui a fait mon identité d'aujourd'hui.
En définitive, il reste encore à trouver un juste équilibre entre les financements, la qualité du programme artistique, le plaisir des festivaliers et la sécurité pour ce grand festival unique où Reims se transforme le temps d’un week-end en pays des sourds.