4 septembre 2017

Festival Clin d’Oeil, édition 2017. En l'espace de quatre jours, la petite ville de Reims est devenue le point vers lequel ont convergé plus de 13 000 personnes venues du monde entier.

Comme beaucoup d’autres, je me suis immergée dans cet espace unique : dans le cirque, le théâtre, la rue, les cafés et les supermarchés de la ville… partout la langue des signes est présente. Même les serveur.se.s de restaurant s'y mettent ! On s'abreuve, depuis le matin jusqu'à tard dans la nuit, de spectacles aussi bien que de discussions – la parole signée sature l'espace, s'y offre au regard en permanence.

Et puis, il y a les séminaires. Dix conférences et tables-rondes au total, répartis sur deux jours, en lien avec l'art et la culture, mais faisant aussi de l'oeil aux questionnements politiques. La conférence d'Arnaud Balard et Nancy Rourke sur les mouvements du Surdisme et De'Via, tous les deux à l’intersection entre arts et réflexion militante. Ou encore, la table-ronde réunissant quatre personnalités sourdes actives sur les réseaux sociaux (Ayiu Wuol, Boryana Topchiev, Hulusi Bati, Onno Jansen) qui ont débattu de leurs responsabilités auprès des communautés sourdes.

Pendant que j’écoutais ces débats, une question a pointé le bout de son nez : qu'est donc le festival Clin d'Oeil , du point de vue de la politique et du militantisme ? Clin d'Oeil est-il une agora mondiale de sourds, où on s’arrête à chaque coin de rue pour papoter ? Un théâtre géant au sein duquel des artistes et des spectateurs du monde entier peuvent se côtoyer ? Ou un rendez-vous pour réfléchir ensemble aux manières de défendre l'art et la culture sourde, dans des sociétés qui ne leur accordent guère de place ?

Tant de sourds au même endroit ! Tant de possibilités de partager nos expériences ! Et pourtant Clin d'Oeil ne s’est pas fait une priorité de réfléchir aux intersections entre politique, art et culture. Pourquoi ?

Ces questions tour billonnaient dans ma tête, lorsqu'a eu lieu la conférence des Frontrunners. Une partie de la réponse s'est alors dessinée.

Frontrunners est un programme éducatif international, dont le but est de faire de ses participants – de jeunes sourds et sourdes âgés de 18 à 30 ans – les futurs « catalyseurs pour le changement social » en vue défendre les « droits humains » des sourd.e.s. Ça, c'est de l'engagé, du militant, du politique !... Mais au lieu de cela, nous avons écouté pendant une heure et demie des explications sur l'importance de connaître, faire alliance avec, et dépasser nos inhibitions, nos sentiments d'incapacités, nos peurs : même si nous n'en sommes pas toujours persuadés, ce que nous faisons et pensons a de la valeur, tel était le message.

Au début, j'étais étonnée, je l'admets. Plutôt que de parler de droits humains et des stratégies pour les défendre, on nous a encouragés à revenir sur nous-mêmes, à accepter nos vulnérabilités et à nous considérer avec bienveillance.

Mais, finalement... ce n'est pas si contradictoire que ça. Et c'est peut-être ce qui résume l'esprit du festival Clin d'Oeil . Un moment de respiration collective. Une petite bulle remplie d'oxygène. De quoi reprendre de l'énergie tous ensemble, pour ensuite repartir à l'aventure. C'est aussi ce que nous disait la conférence Frontrunners : prendre soin de soi, permet de se construire sur des bases solides pour s'engager ensuite dans une action politique ou sociale davantage orientée vers le collectif. L'individuel et le collectif ne sont pas forcément antagonistes, mais ils s'articulent dans un va-et-vient. Lorsque la société ne prend pas soin de tous ses membres, ces derniers ont besoin de tels espaces où ils peuvent souffler, se réparer en quelque sorte, afin ensuite d'être en mesure d'agir pour changer ce qui ne va pas dans cette société.

Clin d'Oeil, un espace sourd, un rassembleur d'énergies, une pépinière pour se renforcer et construire ensemble l'avenir ?